Je viens d'obtenir une copie anonymisée des quatre jugements de mars 2021 de la part du greffe du Tribunal administratif de Caen.
Jugements condamnant le Conseil départemental de la Manche.
En fait, seuls trois des jugements se rapportent à cette histoire de seuil. Leurs numéros : 1902846, 2001738, 2002447.
Etant donné que chaque jugement comporte la mention suivante, il sera difficile pour l'Etat de prétendre ne pas être informé de ce grave problème :
Copie pour information en sera adressé à la chambre régionale des comptes de Normandie et au préfet de la Manche.
Je relève que, contrairement aux pratiques constatées avec au moins un autre département (jugements en attente), la Manche n'a pas eu
dans ces trois affaires-ci le cynisme supplémentaire d'émettre des indus de RSA pour les mois de perception au cours desquels
l'épargne de l'allocataire n'avait pas été remarquée. Dans la Manche, la radiation est intervenue brutalement, dès que le département a constaté le dépassement du seuil illégal.
Quant aux explications législatives, elles se retrouvent dans les considérants 2, 3 et 8 de l'arrêt n°2001738 de mars 2021 du TA Caen :
2. D’une part, aux termes de l’article L. 111-4 du code de l’action sociale et des familles : « L'admission à une prestation d'aide sociale est prononcée au vu des conditions
d'attribution telles qu'elles résultent des dispositions législatives ou réglementaires et, pour les prestations légales relevant de la compétence du département ou pour les
prestations que le département crée de sa propre initiative, au vu des conditions d'attribution telles qu'elles résultent des dispositions du règlement départemental
d'aide sociale mentionné à l'article L. 121-3. ». Aux termes de l’article L. 115-2 de ce code : « (…) La mise en oeuvre du revenu de solidarité active relève de la responsabilité
des départements (…). ». L’article L. 121-1 du code de l’action sociale et des familles dispose : « Le département définit et met en oeuvre la politique d’action sociale,
en tenant compte des compétences confiées par la loi à l’Etat, aux autres collectivités territoriales ainsi qu’aux organismes de sécurité sociale. Il coordonne les actions
menées sur son territoire qui y concourent. (…) ». Aux termes de l’article L. 121-3 du même code : « Dans les conditions définies par la législation et la réglementation sociales,
le conseil départemental adopte un règlement départemental d’aide sociale définissant les règles selon lesquelles sont accordées les prestations d’aide sociale relevant
du département. ». En vertu de l’article L. 121-4 de ce code : « Le conseil général peut décider de conditions et de montants plus favorables que ceux prévus par les lois
et règlements applicables aux prestations mentionnées à l'article L. 121-1. Le département assure la charge financière de ces décisions (…). ».
Et aux termes de l’article L. 262-24 de ce code : « I.- Le revenu de solidarité active est financé par les départements (…). »
3. Le revenu de solidarité active est une prestation relevant de la compétence du département qui en assure le financement. Il résulte des dispositions qui précèdent que,
lorsqu’il édicte des règles définissant les conditions d’attribution et le montant de prestations d’aide sociale qui font l’objet de prescriptions définies par des lois et des décrets,
le conseil départemental ne peut édicter que des dispositions comportant des conditions ou des montants plus favorables que celles définies par ces lois et décrets.
8. [...]
le président du conseil départemental de la Manche a pris en compte l’intégralité des capitaux dont disposait l’allocataire au motif que le montant de ses capitaux placés,
qui était supérieur au seuil de 23 000 euros fixé par la délibération du conseil départemental du 17 juin 2016, ne lui permettait pas de percevoir cette allocation. Toutefois,
cette délibération, dont il ne résulte pas de l’instruction qu’elle figurerait dans le règlement départemental d’aide sociale, doit être regardée, eu égard à son objet,
comme fixant des conditions, des critères ou des montants plus restrictifs que ceux déterminés par les textes pour l’attribution du revenu de solidarité active,
en méconnaissance de l’article L. 121-4 du code de l’action sociale et des familles. Il suit de là que la décision du 13 août 2020 a été prise sur le fondement d’une délibération
du conseil départemental qui ne trouve son fondement dans aucune disposition législative ou réglementaire applicable au revenu de solidarité active et par suite en
méconnaissance des articles L. 132-1 et R. 132-1 du code de l’action sociale et des familles, qui ne prévoient la prise en compte ni de la valeur des capitaux détenus
par l’intéressé, ni d’un seuil de capitaux à partir duquel le droit au revenu de solidarité active ne serait plus ouvert. Si dans ses écritures en défense, le département
de la manche invoque la procédure prévue par les dispositions de l’article L. 262-41 du code de l’action sociale, lorsqu’il est envisagé de procéder à une évaluation forfaitaire
des revenus sur la base du train de vie, il ne résulte pas de l’instruction que, lors de l’examen des droits de M. C... au revenu de solidarité, le département ait entendu se placer
dans le champ de ces dispositions. Par suite, le moyen tiré de l’erreur de droit commise par le département de la Manche doit être accueilli.
D'autres explications se retrouvent au sein du considérant 8 de l'autre jugement n°2002447 de mars 2021 du TA Caen :
[...]
le président du conseil départemental de la Manche a pris en compte l’intégralité des capitaux dont disposait le foyer de l’allocataire au motif que le montant de ses capitaux placés,
qui était supérieur au seuil de 23 000 euros fixé par la délibération du conseil départemental du 17 juin 2016, ne lui permettait pas de percevoir cette allocation. Toutefois,
cette délibération, dont il ne résulte pas de l’instruction qu’elle figurerait dans le règlement départemental d’aide sociale, doit être regardée, eu égard à son objet, comme
fixant des conditions, des critères ou des montants plus restrictifs que ceux déterminés par les textes pour l’attribution du revenu de solidarité active, en méconnaissance
de l’article L. 121-4 du code de l’action sociale et des familles. Il suit de là que la décision du 19 novembre 2020 a été prise sur le fondement d’une délibération du conseil
départemental qui ne trouve son fondement dans aucune disposition législative ou réglementaire applicable au revenu de solidarité active et par suite en méconnaissance
des articles L. 132-1 et R. 132-1 du code de l’action sociale et des familles, qui ne prévoient la prise en compte ni de la valeur des capitaux détenus par les intéréssés,
ni d’un seuil de capitaux à partir duquel le droit au revenu de solidarité active ne serait plus ouvert. Dans ses écritures en défense, le département de la Manche fait valoir
qu’il était fondé à tenir compte de l’intégralité de ces capitaux qui excèdent le plafond du dépôt du livret A sans avoir à faire application des règles et principes énoncés aux
points 4 à 6 du présent jugement, dès lors que l’article R. 132-1 du code de l’action sociale et des familles serait contraire au principe de libre administration
des collectivités territoriales garanti par l’article 72 de la Constitution. Toutefois, si les collectivités territoriales s’administrent librement, c’est dans les conditions prévues par la loi, qu'elles sont ainsi tenues de respecter. Ainsi et dès lors que les dispositions de l’article R. 132-1 du code de l’action sociale et des familles sont intervenues en application des dispositions législatives précitées du même code, le département de la Manche ne saurait utilement se borner à soutenir, pour s’y soustraire, qu’elles méconnaissent le principe
de libre administration des collectivités territoriales garanti par l'article 72 de la Constitution. De même, si le département de la Manche invoque la procédure
prévue les dispositions de l’article L. 262-41 du code de l’action sociale, lorsqu’il est envisagé de procéder à une évaluation forfaitaire des revenus sur la base du train de vie,
il ne résulte pas de l’instruction que, lors de l’examen des droits du foyer de M. A... et Mme E... au revenu de solidarité active, le département ait entendu se placer dans le champ
de ces dispositions. Par suite, le moyen tiré de l’erreur de droit commise par le département de la Manche doit être accueilli.