Bris de classe
«Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !», espéraient Marx et ses copains. Voilà que les prolétaires d’un même pays se foutent sur la gueule, maintenant...
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C’est une usine qui ferme, à Davézieux, en Ardèche. Une de plus.
[...] Le 10 octobre, manifestation des salariés à Lyon, devant le Medef.
Françoise et Matthieu m’accompagnent au bistrot :
«T’es journaliste, c’est ça ?
– Oui, je travaille pour L’Humanité.»
Ça fait une bonne dizaine de fois qu’on me demande ce que c’est, l’Humanité - un journal ? Une télé ? Un truc local ? Ça parle de quoi ? C’est une radio ? –, au milieu de tous ces drapeaux CGT qui flottent. Mais Matthieu – ancien délégué CGT – est plus dans le coup, lui :
«Ah ouais, je suis allé à un truc, une fois, c’était "la Fête de l’Huma", je crois. Il y avait de la super zic. Ça a un rapport ?
– Oui, c’est la fête du journal.»
Ils sont bien contents d’arriver à la fin de ces quatre semaines de lutte, tous les deux : ils vont pouvoir retrouver leurs familles. «En tout cas, vous avez mis une sacrée merde devant le Medef, je remarque en sirotant ma bière.
– C’est quoi, le Medef ?», demande Françoise.
Devant le silence de Matthieu, je les informe que c’est le truc où on était devant, tout à l’heure, le syndicat des patrons.
«Ah d’accord… Moi je m’intéresse pas à la politique, de toute façon. C’est toujours pareil, ils font des discours, mais le 15 du mois, on n’a plus rien. Les politiques c’est tout pareil. Toi, ton journal, il est de quel bord ?
– Il est communiste. C’est la gauche vraiment complètement à gauche, quoi.
– Ah oui, l’extrême-gauche. Mais l’extrême-gauche, ils sont racistes ? Comme nous ?
– Ah non, dit Matthieu, c’est l’extrême-droite qui est raciste. Pas l’extrême-gauche.
– Mais parce que vous êtes racistes ?, je demande.
– Ben tu connais la phrase célèbre, me dit Françoise, "on ne naît pas raciste, on le devient". Tu sais, c’est toujours les mêmes qui profitent. Toi tu te crèves le cul à te lever à 5 heures du matin pour faire tes équipes, et eux ils ont plein de gosses, les allocs, et ils roulent avec une bagnole que tu pourras jamais te payer. Ils ont pas de soucis, ils ont la CMU, et toi tu peux pas te faire changer une dent parce que t’as pas de fric.
– Et puis y en a marre, on a peur, même à Annonay. Y a des quartiers où ça craint. On nous jette des regards de mépris, on nous parle mal… C’est pour ça que l’an prochain, faut que ça change.
– Vous allez voter Marine ?
– On devrait pas dire ça à un gars de la gauche !, se marre Françoise. Mais oui, je vais voter pour elle, parce que y en a marre. D’ailleurs même Mohammed le dit. Dans l’usine, on a un Cambodgien, et Mohammed, il est algérien. Ben lui il le dit, que quand il rentre du boulot, il voit les autres qui se lèvent… C’est vrai que dans l’usine, ils ont droit à des remarques racistes, tous les deux, mais ils savent que c’est sympa.»