Allemagne: la charité remplace la justice sociale
Publié : 05 janv. 2009
De plus en plus de soupes populaires en Allemagne
Les <<soupes populaires>> se multiplient en Allemagne, un signal d'alarme selon les mouvements d'Eglise pour qui la charité ne doit pas remplacer la justice sociale.
Avec leur logo assiette, fourchette et couteau, les camionnettes des associations locale des Tafeln (Tables), collectent les vivres qui n'ont pas été vendues dans les chaînes de magasins, ou consommés dans les collectivités pour les distribuer à ceux qui ont faim. <<Chacun donne ce qu'il peut>>, même son temps.
Le matin avant d'aller à l'université, Bianca, étudiante, va travailler pour rien à sa Tafel. Elle y prépare des sacs contenant entre autres un paquet de tortellinis aux épinards, du maïs, des poireaux, un poivron, un citron, deux oranges, deux pommes, de la confiture, un paquet de saucisses, deux petits pains et trois bananes. Les sacs seront distribués à une permanence.
Un million de gens dépendent aujourd'hui quotidiennement de cette subsistance solidaire. On dénombrait 320 associations en 2003, on compte 800 <<tables>> aujourd'hui et 2000 <<permanences>> dans toute l'Allemagne, et 35 000 volontaires les animent. <<Des chiffres qui démontrent une capacité étonnante à la solidarité, à l'engagement souligne le président du mouvement des Talfeln, Gerd Haüser. Mais qui constitue également un signal d'alarme quant à la progression et à l'enracinement de la misère. D'où cette mise en garde du président de l'association catholique Caritas, Peter Neher, dans le quotidien berlinois Tagessspiegel à la veille de Noël: << On ne peut pas se donner le but de soutenir des groupes de gens sur le long terme en leur offrant la soupe, des vêtements de seconde main et des tarifs réduits, cela signifierait entériner le développement et la stabilisation de deux mondes parallèles.>> Un avertissement repris par Klaus-Dieter Kottnik, président des associations de solidarité protestantes (Diakonie), selon qui la <<croissance exponentielle>> des soupes populaires <<privées>> est inquiétante. <<L'engagement croissant de ceux qui portent secours à leur semblables dans la misère est très louable, mais la charité doit aller de pair avec un engagement pour plus de justice sociale.>>
Le mouvement des Tafeln serait marqué, au contraire, par l'idéologie néolibérale selon laquelle la misère s'effacera grâce à l'engagement, la responsabilité de chacun. On compte il est vrai des Rotary-Club et les chaînes de magasins, parmi les nombreux sponsors du mouvement.
23% des habitués des soupes populaires sont des enfants
Le développement des associations de soupes populaires, apprécié du <<côté des politiques>>, peut contribuer à ce que l'Etat <<se dégage progressivement de ses responsabilités quant à la sauvegarde du bien-être des citoyens>>, s'inquiète Caritas. Des critiques qui ont semé le trouble au sein même des associations de solidarité des Eglises. Car un quart environ des <<soupes populaires>> sont animées par des équipes catholiques ou protestantes, dont les Tafeln locales tiennent permanence à l'église. <<Elles contribuent de manière décisive à la lutte contre la misère et l'injustice>>, souligne Caritas-Ludwisburg, regrettant les critiques émises contre les Tafeln, par la direction fédérale de l'association.
A l'origine, les soupes populaires, fondées en 1993 à Berlin, visaient à porter secours aux SDF, aux titulaires de l'aide sociale. Puis avec les mesures de réforme de l'assurance-chômage initiées par le gouvernement Schröder en 2005, les chômeurs ont vu leurs ressources fondre et
ont suivi les conseils de l'assurance-chômage d'<<(aller) voir à la "Tafel" si vous pouvez tirer quelque chose>>, note Gerd Haüser. Beaucoup de mères célibataires, titulaires de l'aide chômage, qui ne peuvent pas travailler à plein-temps, viennent y chercher secours - les habitués des <<tables>> sont pour 23% des enfants. Et sont venus s'ajouter récemment les salariés, les retraités, qui ne peuvent plus vivre de leurs revenus.
Il ne s'agit pas de <<déresponsabiliser l'Etat>>, se défendent les Tafeln. <<Notre présence et nos activités permettent au contraire de l'interpeller en montrant que ce qu'il fait ne suffit pas et que l'on doit suppléer à ces carences, assure Gerd Haüser. On ne peut pas laisser les gens qui sont dans la détresse sur le carreau, en attendant que la situation s'améliore.>>
Michel Verrier - article du journal La Croix
Les <<soupes populaires>> se multiplient en Allemagne, un signal d'alarme selon les mouvements d'Eglise pour qui la charité ne doit pas remplacer la justice sociale.
Avec leur logo assiette, fourchette et couteau, les camionnettes des associations locale des Tafeln (Tables), collectent les vivres qui n'ont pas été vendues dans les chaînes de magasins, ou consommés dans les collectivités pour les distribuer à ceux qui ont faim. <<Chacun donne ce qu'il peut>>, même son temps.
Le matin avant d'aller à l'université, Bianca, étudiante, va travailler pour rien à sa Tafel. Elle y prépare des sacs contenant entre autres un paquet de tortellinis aux épinards, du maïs, des poireaux, un poivron, un citron, deux oranges, deux pommes, de la confiture, un paquet de saucisses, deux petits pains et trois bananes. Les sacs seront distribués à une permanence.
Un million de gens dépendent aujourd'hui quotidiennement de cette subsistance solidaire. On dénombrait 320 associations en 2003, on compte 800 <<tables>> aujourd'hui et 2000 <<permanences>> dans toute l'Allemagne, et 35 000 volontaires les animent. <<Des chiffres qui démontrent une capacité étonnante à la solidarité, à l'engagement souligne le président du mouvement des Talfeln, Gerd Haüser. Mais qui constitue également un signal d'alarme quant à la progression et à l'enracinement de la misère. D'où cette mise en garde du président de l'association catholique Caritas, Peter Neher, dans le quotidien berlinois Tagessspiegel à la veille de Noël: << On ne peut pas se donner le but de soutenir des groupes de gens sur le long terme en leur offrant la soupe, des vêtements de seconde main et des tarifs réduits, cela signifierait entériner le développement et la stabilisation de deux mondes parallèles.>> Un avertissement repris par Klaus-Dieter Kottnik, président des associations de solidarité protestantes (Diakonie), selon qui la <<croissance exponentielle>> des soupes populaires <<privées>> est inquiétante. <<L'engagement croissant de ceux qui portent secours à leur semblables dans la misère est très louable, mais la charité doit aller de pair avec un engagement pour plus de justice sociale.>>
Le mouvement des Tafeln serait marqué, au contraire, par l'idéologie néolibérale selon laquelle la misère s'effacera grâce à l'engagement, la responsabilité de chacun. On compte il est vrai des Rotary-Club et les chaînes de magasins, parmi les nombreux sponsors du mouvement.
23% des habitués des soupes populaires sont des enfants
Le développement des associations de soupes populaires, apprécié du <<côté des politiques>>, peut contribuer à ce que l'Etat <<se dégage progressivement de ses responsabilités quant à la sauvegarde du bien-être des citoyens>>, s'inquiète Caritas. Des critiques qui ont semé le trouble au sein même des associations de solidarité des Eglises. Car un quart environ des <<soupes populaires>> sont animées par des équipes catholiques ou protestantes, dont les Tafeln locales tiennent permanence à l'église. <<Elles contribuent de manière décisive à la lutte contre la misère et l'injustice>>, souligne Caritas-Ludwisburg, regrettant les critiques émises contre les Tafeln, par la direction fédérale de l'association.
A l'origine, les soupes populaires, fondées en 1993 à Berlin, visaient à porter secours aux SDF, aux titulaires de l'aide sociale. Puis avec les mesures de réforme de l'assurance-chômage initiées par le gouvernement Schröder en 2005, les chômeurs ont vu leurs ressources fondre et
ont suivi les conseils de l'assurance-chômage d'<<(aller) voir à la "Tafel" si vous pouvez tirer quelque chose>>, note Gerd Haüser. Beaucoup de mères célibataires, titulaires de l'aide chômage, qui ne peuvent pas travailler à plein-temps, viennent y chercher secours - les habitués des <<tables>> sont pour 23% des enfants. Et sont venus s'ajouter récemment les salariés, les retraités, qui ne peuvent plus vivre de leurs revenus.
Il ne s'agit pas de <<déresponsabiliser l'Etat>>, se défendent les Tafeln. <<Notre présence et nos activités permettent au contraire de l'interpeller en montrant que ce qu'il fait ne suffit pas et que l'on doit suppléer à ces carences, assure Gerd Haüser. On ne peut pas laisser les gens qui sont dans la détresse sur le carreau, en attendant que la situation s'améliore.>>
Michel Verrier - article du journal La Croix