(...) Nous devons prendre garde à ne pas banaliser cet évènement en le ramenant à un simple rebondissement, un coup de théâtre ou un épisode de la campagne électorale. Or, c’est ce qui est en train de se passer. Je ne parle pas de la réaction caricaturale de Marine Le Pen qui en remet une couche sur la lutte contre le fondamentalisme, mais de la façon dont on instrumentalise les émotions, les peurs et les stupeurs dans des récits captivants. La tentation d’utiliser un drame national pour capter l’émotion des électeurs à des fins électorales.
Le discours de Nicolas Sarkozy aux enfants du collège François Couperin était de ce point de vue éloquent. Le président a expliqué à des enfants que ce qui s’était passé à Toulouse pouvait arriver à chacun d’entre eux. Comme thérapie post-traumatique, on a fait mieux ! Loin de circonscrire le mal et d’en expliquer les causes, on généralise la peur. Loin d’éloigner la menace, loin d’apaiser la peur et de permettre un travail de symbolisation, on la fait surgir devant eux, on redouble le trauma, on rend la peur contagieuse. On vient de vivre plusieurs jours de psychodrame national, orchestrés par le président des effrois successifs, l'ordonnateur de la grand-peur nationale. On le sent bien désormais. Ce n’est pas la campagne seulement qui a été suspendue par les principaux candidats, c’est le sens, la capacité à débattre et à symboliser. Le
storytelling de la peur se donne à lire pour ce qu'il est : un déni de démocratie.
Les médias courent le risque de voir dans ces évènements tragiques l’occasion de relancer l’intérêt, le suspense, la tension narrative de la campagne. C’est le comble de notre philistinisme narratif. Le point culminant de notre bêtise narrative. Et les médias ne sont pas les seuls concernés. Nous sommes tous des crapules romanesques, comme le disait Pierre Michon. Nous feignons de nous intéresser au Chômage, à la Crise ou aux victimes du terrorisme, alors que alors que nous sommes assoiffés d’histoires, de héros et de méchants. Nous nous vautrons dans les feuilletons politiques qui n’ont d’autre but que de nous tenir en haleine. Nous exigeons du suspens, des coups de théâtre. Nous revendiquons notre part d’émotion.
(...) Gagner une élection, ce n’est pas seulement rallier les électeurs à une histoire, c’est synchroniser les attentes des électeurs et les histoires des candidats, et pour cela s’efforcer de susciter les émotions utiles. Dans le cas présent, Sarkozy, le candidat qui avait réussi à faire oublier le président, a tenté à la faveur de l’évènement de se représidentialiser. L’arrestation de ce minable djihadiste est une tentative de répéter l’éthos de l’école de Neuilly. C’est moins une démonstration de force sécuritaire que la réactivation d’un éthos de sauveur de la Nation. Peut-on appeler à l’union nationale, au respect, à l’apaisement quand on a excité les passions et divisé les français ? La crédibilité de ce genre de posture dépendra de la manière dont la presse fera son travail. Comme les médias et les candidats cadreront les enjeux de campagne. C’est une histoire qui n’est pas écrite d’avance.
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http://www.marianne2.fr/Christian-Salmo ... 16551.html
Et la fin :
Dans une interview aux Inrocks, Didier Hassoux s'étonne que la DCRI n'ait pas mis le grappin sur Mohamed Merah après le premier meurtre de militaire. Pensez-vous que ce genre de manipulation soit possible, et, le cas échéant, qu'elle puisse modifier une donne électorale ?
Je ne suis pas compétent pour juger de ce genre d’hypothèse. On ose espérer que les journalistes feront leur métier et enquêteront sur ce point. Cependant le timing de cette affaire ne lasse pas d’intriguer. On ne peut juger des répercussions de cette affaire sur la campagne mais si l'enquête avait été perturbée à des fins politiques, les ravages dans l’opinion seraient tels que c’est un scénario à la Aznar qui prévaudrait.
(Suite à l’attentat de Madrid à la veille des élections espagnoles en mars 2003, que José Maria Aznar tenta d’attribuer à l’ETA dans le but d’influencer les électeurs, la supercherie, une fois découverte, lui coûta son poste.)