Je viens de tomber sur le vaste et sensible sujet. Cela me donne juste envie d'écrire quelques lignes.
Avec les années ma vision sur la dépression a beaucoup changé. Jadis je faisais partie des "militants contre les psychotropes", une sorte de mélange de préjugés et de peur des effets secondaires, sans savoir exactement ce qu'est une dépression et sans avoir de connaissances à ce sujet. Comme beaucoup de gens je croyais que la dépression n'était qu'une question de volonté, que ce n'était pas une "vrai" maladie, jusqu'à un jour ou j'ai dû avoir recours moi-même à une aide professionnelle et aux médicaments tant détestés et craints (je dirais presque idéologiquement). Mais ma souffrance a été bien plus forte que ma volonté et mes idées que j'avais eu jusque là, et je dois dire que j'ai été vraiment soulagé d'avoir fait le pas de me faire soigner.
A cette époque je ne pouvais pas attribuer mon état à un évenement ou à une situation particulière comme le chômage, une séparation ou une autre chose précise. Ça a été comme une sorte de "forte grippe" qui échappait complètement à ma volonté et à un quelconque lien de cause à effet.
Aujourd'hui je crois que les gens ont tous des fragilités différentes. Je pense que la dépression est une maladie qui peut être influencée par de multiples facteurs, qu'ils soient génétiques, sociaux, traumatiques, physique et bien d'autres choses que j'ignore. En Allemagne le "consensus médical actuel" est qu'un traitement médicamenteux combiné avec une thérapie aurait de meilleurs résultats comparés à un traitement médicamenteux seul ou à une thérapie seule. La plupart du temps, la psychanalyse serait contre-indiquée dans le cas de la dépression. Cette conception existe en Allemagne depuis longtemps, mais même la France où la psychanalyse est plus fortement ancrée que dans d'autres pays va aujourd'hui dans ce sens.
L'ancien concept de dépression endogène/exogène est relayé aujourd'hui par une différentiation plutôt descriptive. La gravité est partagé entre
légère,
moyenne et
sévère, puis il y a la forme bipolaire qui est une alternance entre un état maniaque et un état dépressif. La forme la plus sévère est la mélancholie. Une fois j'ai fait connaissance à un mélancholique qui a passé plusieurs semaines au lit à regarder le plafond.
Il y a des personnes qui ont un seul épisode dépressif dans leur vie, d'autres récidivent une ou plusieurs fois d'où l'importance d'un traitement préventif, pour d'autres encore cela devient une maladie chronique. Après chaque rechute la probabilité d'une récidive croît.
Je n'ai pas encore un avis si il existe un lien direct entre dépression et chômage, mais si une personne a une fragilité inhérente encore non-exprimée, j'imagine que le chômage comme tout autre évenement de gravité majeure peut être un facteur de risque, déclenchant ou aggravant. Si la dépression s'exprime déjà mais n'est pas encore diagnostiquée, on peut penser qu'un licenciement peut avoir un effet dévastateur sur la santé mentale. Mais il en sera de même avec un travail pénible (exigences trop lourdes) et/ou une ambiance exécrable au travail (harcèlement moral). On pourrait aussi se poser des questions concernant des heures supplémentaires imposées (surmenage, dégradation du vie de couple, vie de famille).
Je peux affirmer (et je ne parle que pour moi) une chôse: je vis mal une pression forte de la part de l'ANPE, d'un conseiller, une attitude aggressive envers moi qui me culpabilise et me met la pression. Ce sera un facteur de stress qui est même contreproductif au but recherché. (ou peut-être même pas car j'ai déjà pensé à certains moments de me faire radier volontairement pour ne plus subir la pression).
Il me semble que le lien entre
dépression et suicide est bien établi. Maintenant concernant le sujet de départ - je peux imaginer d'examiner un éventuel lien entre
dépression et chômage, et je verrais le suicide d'avantage comme une conséquence à la dépression, mais on peut aussi imaginer que dans certains cas un licenciement soit vécu comme un traumatisme pour certaines personnes.
Puis le chômage n'est pas le seul facteur éventuellement "déprimant" de société, il y en a d'autres. Déjà la dépression et le suicide touche toute catégorie sociale et tout age (avec pondération).
En prison 7 fois plus de suicides qu'en liberté, au mitard 7 fois plus de suicide qu'en prison "simple", donc le fait de se trouver au mitart, on a 49 fois plus de risque de mettre fin à ses jours.
Mais est-ce que mon "réalisme pessimiste" ou mon "pessimisme réaliste", désormais renforcé, ainsi que mes accès de mélancolie (de lassitude ou d'asthénie) sont liés à ma complexion nerveuse, ou à un environnement social et économique ?
Bref : Où commence le "médical" ?
Je trouve la question très intéressante, une question de fond. Une sorte de lucidité du réel qui mène à un pessimisme ou un sentiment d'absurdité déclenchant une lassitude, une asthénie, une mélancholie. Où commence le médicale? Je me suis souvent posé cette question. Je me suis même demandé si je veux vraiment perdre cette "lucidité" (si c'en est une, peut-être est-elle imaginaire?) au prix d'une sorte de "bien-être moyen" qui me rendra insensible aux injustices, aux absurdités et à la souffrance de l'autre, et qui me fera juste fonctionner dans la société comme elle l'attend de moi. C'est ça la santé?
Pour moi une réaction possible à cette absurdité (donc moi je suis plus touché par un sentiment d'absurdité) est l'art.
D'autres trouveront peut-être plus de sens dans la lutte contre les injustices, dans l'aide à l'autre, etc.
Ce que je trouve "tragique" c'est le fait que ce soit la société qui définit ce qu'est la maladie, et ceci en fonction de ses critères qu'elle juge importants pour elle. (apporte quelque chose à la société, travaille, paye des impôts, ne conteste pas l'ordre établi, etc....). En tant qu'individu je me donne le droit d'avoir une réflexion propre et de ne pas accepter la définition que donne la société; inversement, je me donne le droit de définir ce qu'est pour moi une société "saine" et d'identifier ses maladies que j'aurai défini moi. Seulement je suis pratiquement impuissant face à elle.
Maintenant sans trop partir dans la philosophie j'imagine qu'un médecin (un psychiatre par exemple) dirait qu'à partir du moment où l'on ne peut plus gérer sa vie - des choses simples comme faire des courses, faire la cuisine, voire des gens, ne plus trouver aucun intérêt à la vie, ne plus ressentir le moindre plaisir, broyer du noir, si les gestes du cotidien deviennent une charge presque insurmontable, ce serait de l'ordre du "médical". Le médecin ne va pas faire trop de philosophie, il observera la plainte, les "symptômes" et appréciera l'autonomie de l'individu. Après, acceptera-t-on sa vision de maladie et son éventuel proposition de traitement en cas de dépistage avéré, c'est une autre question...