Tiens, en parlant de Simone Veil…
Lundi 11 décembre 2023
À Madame Valérie Pécresse, Présidente de la Région Ile-de-France en charge d'attribuer le Prix Simone Veil
Je vous rends votre Prix Simone Veil, car il est désormais entaché de sang
Madame,
C'est avec un immense honneur que je vous écris aujourd'hui pour vous restituer le prix Simone Veil que vous m'avez décerné en 2019 suite au vote du public. Loin de me sanctionner pour mes opinions comme vous l'entendez, en me retirant ce qui m'a été attribué par vote, c'est surtout votre conception de la démocratie que vous révélez.
Puisque ce prix signifie selon vous et selon les ayants droit de Simone Veil. de se taire sur les agissements du gouvernement d'extrême-droite de Netanyahu et sa clique de criminels de guerre, alors je vous le rends volontiers. Puisque ce Prix, censé récompenser mon engagement en faveur de la liberté de conscience et d'expression, ne me reconnait que celle de critiquer l'extrémisme musulman et entend me priver de celle de dénoncer l'extrémisme juif ou toute autre idéologie haineuse, alors cela ne m'honore pas de le garder.
Il y a des crimes d'une ampleur telle qu'ils ne pardonnent pas à ceux qui se tiennent du mauvais côté de l'Histoire. C'est cela le principal enseignement de la Shoah. Enseignement que vous ne semblez pas avoir retenu.
« Plus jamais ça », c'est ce que les survivants des camps d'extermination nazis ont légué à l'humanité tout entière. Mais il semble, Madame Pécresse, que votre absence d'empathie pour ceux que vous excluez de l'humanité - les Palestiniens dont vous n'avez jamais dénoncé les assassins - vous empêche de comprendre que le legs de la Shoah est universel, et non communautaire.
Vous vous êtes indignée - à raison - des crimes perpétrés par le Hamas et autres factions armées palestiniennes contre les civils israéliens le 7 octobre 2023. Je leur exprime ici toute ma compassion, car pour moi, toute attaque menée contre des civils, qu'elle soit le fait d'une milice ou d'une armée régulière, est un acte terroriste. C'est selon ce même principe et par esprit de justice et d'égalité, que j'exprime au même titre ma compassion aux civils palestiniens et condamne les atrocités perpétrées par l'armée israélienne contre eux. Comment considérer ces crimes autrement que comme des actes terroristes ? C'est aussi par respect du Droit international que je dénonce la colonisation et l'occupation qu'exerce l'Etat d'Israël en Palestine, en violation des résolutions des Nations-Unies.
Le 16 novembre 2023, vous avez exprimé votre compassion pour les victimes israéliennes et palestiniennes, ce que l'on ne peut que saluer de votre part, dans un pays où de nombreuses voix ont versé dans une hiérarchisation nauséabonde des victimes et de leurs souffrances. Toutefois, si vous avez raison de nommer et de condamner sans équivoque les auteurs des crimes du 7 octobre, vous ne nommez, ni ne condamnez ceux des crimes qui continuent de se dérouler depuis plus de 2 mois dans la Bande de Gaza.
Vous évoquez également le sort insoutenable des otages israéliens encore détenus par les différentes factions armées palestiniennes, mais vous omettez de mentionner les milliers de Palestiniens, enfants compris, qui sont détenus depuis des années dans les camps d'internement israéliens, sans procès et sans accès à un avocat. Cette invisibilisation des Palestiniens est l'un des ressorts de leur déshumanisation contre laquelle je me dresse aujourd'hui.
Le peuple palestinien a, certes, besoin d'aide humanitaire, mais il a surtout besoin de justice.
Je ne peux également que vous applaudir lorsque vous vous montrez fidèle aux valeurs françaises de liberté, d'égalité et de fraternité en dénonçant toute forme d'antisémitisme qui sévit dans notre pays, et je joins ma voix à la vôtre pour défendre le droit de nos compatriotes juifs à vivre en paix et en sécurité chez eux en France et partout ailleurs dans le monde. Toutefois, je déplore que vous n'ayez pas condamné avec la même fermeté les intimidations et les attaques racistes dont font l'objet nos compatriotes d'origine palestinienne ou musulmane depuis le début de cette sale guerre.
Condamnez-vous les innombrables insultes racistes qui m'invitent à rendre mon passeport français et me qualifient de terroriste islamiste depuis que je défends publiquement le droit du peuple palestinien à la vie et à la liberté ?
Je suis triste de voir la mémoire de Simone Veil réduite, par vous et par ceux qui s'octroient le monopole héréditaire d'interpréter son œuvre, à l'impunité d'un gouvernement qui a violé toutes les règles du Droit international et de la morale humaine, en massacrant sans pitié plus de 18.000 Palestiniens à ce jour; dont 70% de femmes et d'enfants, en exécutant de sang froid plus de 60 journalistes, en tuant plus d'une centaine de personnels humanitaires, en bombardant des écoles et des hôpitaux où des civils se sont réfugiés, en coupant le courant électrique à ces mèmes hôpitaux où des bébés prématurés sont morts dans leurs couveuses, en affamant, en assoiffant et en privant de soins près de 2 millions et demi de personnes, décrites par Yoav Gallant, le même ministre de la Défense israélien qui leur a envoyé plus de 40.000 tonnes de bombes - soit plus de l'équivalent de la bombe de Nagasaki et de Hiroshima réunies - comme des « animaux humains ». Elle est longue, Madame Pécresse, très longue, la liste des crimes que vous n'avez pas condamnés.
Plutôt que de vous montrer choquée par ces atrocités, par le sang des innocents qui continue de couler à l'heure où je rédige ces lignes, vous avez pris pour prétexte à votre décision de me retirer ce Prix, non pas des propos que j'ai tenus, mais un « tweet » que j'ai partagé. Ce tweet est celui d'un auteur américain de confession juive, Monsieur Benjamin Rubinstein, qui combat l'antisémitisme et dénonce la politique génocidaire menée à Gaza par le gouvernement d'extrême-droite de Netanyahu et des extrémistes juifs Ben Gvir et Smotrich, les mèmes qui arment les civils et accélèrent la colonisation illégale des terres palestiniennes en Cisjordanie. Ce tweet, loin de nier les horreurs commises par les Nazis lors de la Shoah comme vous le prétendez, évoque la solution de deux états comme la meilleure issue à la dérive meurtrière de l'état israélien. Il analyse les ressorts génocidaires nazis et les compare aux méthodes du gang messianique qui commet ces assassinats de masse, qui ne cache pas son intention d'exterminer le peuple palestinien par son élimination physique ou par son expulsion en dehors des frontières de la Palestine. Ce même Netanyahu qui a assassiné le poète Rifaat Alarcer; comme Franco a assassiné Federico Garcia Lorca, Pinochet Pablo Neruda, ou Hitler Robert Desnos et Max Jacob.
Un régime qui tue les poètes, les êtres les plus libres parmi nous, ne mérite pas votre soutien. Madame Pécresse.
Quelle ironie de découvrir que Monsieur Aurélien Veil, en sa qualité - si la filiation en est encore une en République- de petit-fils de Simone Veil, qui vous a enjoint de me retirer ce Prix sous prétexte que je partage un tweet d'un auteur juif qui fait référence à la Shoah, avait lui mème rédigé un tweet le 21 novembre 2023 dont je retranscris le texte ici : « À l'inverse des nazis, les terroristes du Hamas ont enregistré les massacres qu'ils commettaient. La guerre est aussi une guerre des images. Il faut la gagner et vaincre la dénégation du terrorisme sans céder au voyeurisme. ». Faut-il en déduire, selon la propre logique de ce Monsieur, que les crimes du Hamas seraient plus pervers et voyeuristes que ceux des Nazis ? Tartufferie !
Voilà l'injonction à laquelle vous avez obéi, Madame Pécresse.
Je vous renvoie ici à la grande tradition philosophique juive, à son humanisme, à Sa liberté et à la diversité des opinions qu'elle a cultivées. Je vous renvoie à Hannah Arendt qui s'est montrée très critique de l'Etat d'Israël dès sa création, ou encore à Martin Buber qui s'est engagé pour un Etat unique binational en Palestine. Je peux également vous rappeler l'épopée de Marek Edelman, le héros du soulèvement du Ghetto de Varsovie, qui n'a jamais souhaité émigrer en Israël et s'est montré très hostile au sionisme jusqu'à sa mort en 2009.
L'ignorance est humaine, Madame Pécresse, mais lorsqu'elle s'associe au pouvoir politique, elle devient dangereuse. De quel droit, vous qui êtes une femme politique française, osez-vous dicter aux autres ce qu'ils doivent penser d'un crime de masse qui se déroule sous leurs yeux ? A quel titre octroyez-vous le droit de dire qui sont les bons et les mauvais juifs ? En quelle qualité tentez-vous d'exercer une censure que la loi n'impose pas ? En érigeant le narratif du gouvernement d'extrême-droite de Netanyahu et de sa clique de fascistes comme discours unique, vous consentez à l'écueil dangereux qui prétend que les dirigeants israéliens actuels sont les uniques représentants légitimes du peuple juif. Vous contribuez à diaboliser et à étouffer les voix juives qui s'élèvent par milliers à travers le monde pour refuser que ces abominables massacres de civils soient commis en leur nom.
En réalité Madame Pécresse, ce pouvoir que vous-vous octroyez, vous ne l'avez pas. Votre récente déroute aux élections présidentielles vous a, je l'espère, montré le véritable poids politique que vous représentez dans notre pays. Cela aurait dû être pour vous une leçon d'humilité. Pour moi, c'en était résolument une que de découvrir à quel point des gens comme vous, ainsi que de nombreux prétendus alliés dans mon combat pour la liberté, ne sont en réalité que de cyniques opportunistes pour qui la vie d'un enfant palestinien ne vaut pas la vie d'un enfant israélien, pour qui le droit à la vie et à la liberté est réservé à certains à l'exclusion d'autres. En me retirant ce prix, vous ne faites que tomber votre propre masque.
Sachez que votre décision de me retirer ce prix qui, je le rappelle, est honorifique et ne s'accompagne d'aucune enveloppe financière, ne m'enlève rien, ni ne me définit. Seule moi-même, par ce que j'exprime avec mes mots ou incarne par mes actes, peux dire qui je suis. En revanche, cela parle de vous et de ceux qui, au nom de Simone Veil, vous ont enjoint de prendre cette décision.
Je laisse l'Histoire vous juger.
Quant à moi, je réaffirme ici que mon combat pour la liberté, notamment la liberté de conscience et d'expression, est un combat universel qui s'adresse à tous, quelles que soient leur nationalités, leurs croyances, leurs couleurs de peau ou leurs langues. Les mèmes valeurs humanistes qui m'ont poussée à dénoncer les dérives de l'extrémisme religieux chez certains musulmans sont celles qui me font dénoncer les dérives génocidaires des dirigeants israéliens, conduites au nom d'une conception non moins étriquée de la religion. Dérives que vous associez lamentablement aujourd'hui au Prix Simone Veil.
Je déplore qu'à l'heure où des centaines de millions d'êtres humains à travers cette terre se dressent pour exiger un cessez-le-feu immédiat et pour réclamer que justice soit faite pour chaque victime civile, palestinienne ou israélienne, vous vous affairiez de votre côté à cette chasse aux sorcières contre une femme comme moi qui s'est levée pour dénoncer ces monstrueux crimes. Sachez que tout ce que je vous souhaite, Madame Pécresse, c'est de connaître la grâce infinie de la liberté intérieure, celle qui me dicte aujourd'hui de n'obéir qu'à ma conscience, celle qui me fait éprouver de la compassion envers vous.
Pauvre humanité que celle qui ne parvient plus à voir en l'autre un être humain, qui ne se reconnait plus au-delà des idéologies et des divisions politiques.
Je vous rends donc votre Prix Simone Veil, car il est désormais entaché de sang.
Zineb El Rhazoui