La proposition de résolution du député Arnaud MontebourgLibé a écrit :Le député publie son «réquisitoire» contre Chirac. Montebourg persiste, 30 députés signent. Le renvoi du Président devant la justice en débat
(ARMELLE THORAVAL, Libération, 22 mai 2001)
Si l'entêtement est une vertu politique, Arnaud Montebourg la possède. En lançant hier son projet de mise en accusation du président de la République - avec force préparation, coup éditorial à la clé et stratégie d'encerclement des députés par les citoyens -, le député de Saône-et-Loire va jusqu'au bout d'une démarche dont l'origine date de plus de deux ans. En 1999 déjà, avec quatre députés, et conseillé par deux avocats, il réfléchissait à une réponse juridique face à la mise en cause de Chirac dans les affaires du RPR. La chose n'était pas mûre, et les rangs du PS plus hostiles encore qu'ils ne le sont aujourd'hui. Approche de la présidentielle, prise de position des juges, qui tour à tour se sont déclarés incompétents ; urgence politique d'un côté, impasse judiciaire de l'autre : il s'est lancé avec un sens du marketing assez avéré. En soi, c'est un coup de force institutionnel et une première politique.
Hier, dans la plupart des journaux et médias a été distribué son opuscule de 94 pages, imprimé fissa chez Denoël, alors que la rédaction en a été achevée au milieu du mois. Pas cher, 39 francs, dans toutes les librairies, l'ouvrage, aux mains du plus grand nombre (d'électeurs, de citoyens) permettra de sortir le débat sur l'envoi en Haute Cour de Jacques Chirac du cercle des initiés et des parlementaires, frileux dès qu'il s'agit de s'attaquer au chef de l'Etat. C'est du moins clairement ce qu'espère Arnaud Montebourg qui affiche la signature de 29 députés à ses côtés, au bas de ce projet de proposition de résolution «tendant au renvoi de monsieur Jacques Chirac occupant les fonctions de président de la République, devant la commission d'instruction de la Haute Cour de justice». Et qu'on ne vienne pas le chercher sur les droits d'auteur. C'est ficelé : la moitié pour les Restos du cœur, la moitié pour son mouvement C6R (Convention pour la VIe République).
Trente députés, ce n'est pas assez. Pour que l'Assemblée nationale entame l'examen d'une mise en accusation de Jacques Chirac, il lui faudrait 58 signatures avec, si possible, quelques noms à droite - fût-elle molle. Afin que cet assaut n'apparaisse pas comme un combat politicien acharné contre Chirac mais comme un débat sur l'«impunité» traversant l'hémicycle. C'est ce qui motive la députée PS du Tarn Monique Collange, ou encore Claudine Ledoux, députée PS des Ardennes, qui ne voit pas comment répondre aux «jeunes qui mettent le feu à un immeuble» si la justice ne fait pas correctement son métier au sommet de l'Etat. C'est ce qui convainc Noël Mamère - qui n'en est pas à sa première offensive contre Chirac : le député vert reprenait hier l'argumentation du livre de Montebourg sur ces pays comme le Pérou ou les Philippines (sous-entendu, des pays sous-développés) où l'on sait mettre en cause un chef de l'Etat. Pour autant, malgré ses efforts, Montebourg n'a pas rallié davantage de parlementaires à sa cause.
Alors restait ce qu'on pourrait appeler la tactique des marchés et du terrain, l'espoir que les électeurs, après la lecture de l'ouvrage et convaincus que l'immunité de Chirac est un «déni de justice», viendront harceler leurs représentants pour qu'ils prennent position. C'est ce que le jeune député baptise «démocratie participative». Au sein des trente, l'on trouve peu de têtes d'affiche, à l'exception des verts Noël Mamère et Yves Cochet, d'Yvette Roudy, ex-secrétaire d'Etat aux Droits des femmes, ou encore de Jean-Pierre Michel.
Croisade. La pression des électeurs permettra-t-elle d'obtenir des députés et sénateurs, moteurs d'une telle procédure ? Rares sont les élus qui parient Montebourg gagnant. Les obstacles de procédure sont nombreux. La majorité du PS y est opposée. Vincent Peillon, allié naturel de Montebourg au sein de la mission sur les paradis fiscaux et devenu porte-parole du PS, a rappelé hier la ligne : la «croisade» de Montebourg «n'est pas aujourd'hui la bonne solution». Se lancer dans cette affaire «apparaîtrait comme une démarche tactique, politicienne».
«Caniveau». A droite ce sont des hurlements : Jean-François Mattei, au nom du groupe DL, regrettait que la gauche «ait choisi le caniveau», jugeant cette opération «ignoble». Au nom du RPR, le député Patrick Devedjian, ne s'y laisse pas prendre : «C'est d'une grande duplicité de la part du PS et de Jospin, que de feindre d'être étranger à cette affaire. ils sont derrière Montebourg, qui trompe son monde.» Faux-jeton ou pas, le coup de Montebourg va occuper le débat public. Encore ne s'est-il centré dans son projet que sur deux dossiers menaçant le chef de l'Etat - les plus clairs : celui des HLM de Paris et celui des emplois fictifs du RPR, instruit à Nanterre. Il ne s'est pas occupé du dossier d'instruction parisien sur les emplois fictifs - avec son vivier d'emplois pour les amis, ni du dossier de la rénovation des lycées en Ile-de-France, où il apparaît que les consignes de trucage des marchés auraient été données depuis le cabinet du maire de Paris, celui de Jacques Chirac. D'autres perspectives restent ouvertes.
Article unique :
Vu les articles 67 et 68 de la Constitution,
vu l'ordonnance n°59-1 du 2 janvier 1959 portant loi organique sur la Haute Cour de justice,
vu les articles de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen,
vu le code de procédure pénale,
vu le code pénal, en ses articles 321-1, 432-12, 433-1 et 433-2 et la loi du 24 juillet 1966 en son article 437,
vu le règlement des Assemblées parlementaires. Monsieur Jacques Chirac, né le 29 novembre 1932 à Paris (Ve), occupant les fonctions de président de la République, et au moment des faits député de la Corrèze et maire de Paris, est renvoyé devant la commission d'instruction de la Haute Cour de justice pour répondre des faits qui sont visés par l'ordonnance d'incompétence du juge d'instruction de Nanterre en date du 15 avril 1999, et par l'ordonnance d'incompétence du juge d'instruction de Créteil en date du 25 avril 2001, sommairement énoncés ci-après.
Enoncé sommaire des faits :
Des investigations menées par l'autorité judiciaire ont fait apparaître que plusieurs dizaines d'employés travaillant au siège du mouvement Rassemblement pour la République avaient été rémunérés fictivement par des entreprises privées pendant de nombreuses années. Il apparaissait également que de nombreux employés du RPR, dont des cadres supérieurs proches du secrétaire général et du président de l'époque, monsieur Jacques Chirac, avaient été directement rémunérés par la Mairie de Paris.
L'examen contradictoire des indices, charges et documents probants saisis au cours de l'enquête permettait d'établir que le total du produit des infractions de recel d'abus de bien sociaux et de prise illégale d'intérêt, s'élevait à la somme de 26 263 350 francs.
Il apparaissait ainsi que le maire de Paris et président du RPR de l'époque, monsieur Jacques Chirac, avait eu connaissance et également participé au fonctionnement de ce système délictueux, se caractérisant par son ancienneté, sa persistance dans le temps, ainsi que son caractère structurel, au vu du nombre de personnes physiques et entités morales impliquées.
Le rôle et la responsabilité de monsieur Jacques Chirac dans la commission des infractions pénales poursuivies par le juge d'instruction de Nanterre paraissaient établis dans les termes suivants :
«Attendu que le nombre des personnes concernées au regard de l'effectif déclaré des salariés du RPR, les fonctions que certaines d'entre elles exerçaient dans l'entourage immédiat du secrétaire général ou du président de ce parti, ainsi que les documents saisis, dont certains semblent être signés ou annotés de la main de monsieur Chirac, font peser à l'encontre de ce dernier en l'état du dossier les indices d'avoir participé au fait de prise illégale d'intérêt et de recel d'abus de biens sociaux dont nous sommes saisis.»
D'autres investigations menées par un juge d'instruction de Créteil ont mis au jour des faits de trafic d'influence sur le système d'appels d'offres des marchés publics conclus par l'Office public d'aménagement et de construction de la Ville de Paris, à une époque où monsieur Jacques Chirac était maire de cette ville. Après avoir rappelé que, d'après des témoignages concordants, il régnait au sein de l'Opac un «favoritisme organisé», et que pour obtenir des marchés de nombreux entrepreneurs aujourd'hui mis en examen devaient remettre «des espèces au cabinet du maire de Paris» ainsi qu'au parti politique «RPR», dont monsieur Jacques Chirac était le président, et que selon l'enquête la plupart des décisions financières de l'Opac «se prenaient en Corrèze en liaison avec monsieur Jacques Chirac», le juge d'instruction rendait une ordonnance constatant qu'étaient apparus dans ce dossier «des indices rendant vraisemblable que Jacques Chirac ait pu participer comme auteur ou complice à la commission des infractions dont nous sommes saisis», c'est-à-dire recel d'abus de biens sociaux, infraction à la législation sur la facturation, faux et usage de faux, et trafic d'influence.
Conclusion :
Il importe dans ces conditions que la commission d'instruction prévue par l'ordonnance n° 59-1 du 2 janvier 1959 portant loi organique sur la Haute Cour de justice procède à tous les actes qu'elle jugera utiles à la manifestation de la vérité et ordonne, s'il y a lieu, le renvoi de monsieur Jacques Chirac, maire de Paris et député de la Corrèze au moment des faits, occupant actuellement les fonctions de président de la République, devant la Haute Cour de justice pour l'ensemble des faits ci-dessus sommairement énoncés, afin qu'il soit jugé si ceux-ci constituent ou non les infractions pénales visées aux articles 321-1, 432-12, 433-1 et 433-2, du nouveau code pénal, ainsi qu'à l'article 437 de la loi du 24 juillet 1966.
Les agissements de monsieur Jacques Chirac sont susceptibles d'être qualifiés de:
- prise illégale d'intérêt,
- recel d'abus de bien sociaux,
- trafic d'influence,
et ce, en qualité d'auteur ou de complice.
Ces faits sont réprimés par les articles 321-1, 432-12, 433-1 et 433-2 du nouveau code pénal, ainsi que par l'article 437 de la loi du 24 juillet 1966.
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