Du vote FN...
Un faux dilemme est un type de sophisme dans lequel on présente deux alternatives comme exclusives et représentant la totalité des alternatives possibles.
On trouve ce type de sophisme dans tous les discours partisans, couplé au sophisme dit "de l'épouvantail" (ou de l'homme de paille). L'épouvantail est un sophisme présentant une alternative, que personne ne défend, comme fausse, afin de prouver que son contraire est vrai. On joue sur une suite approximations du propos afin de montrer, par analogies choisies avec précaution, que la thèse de l'adversaire ne peut qu'être erronée. Ainsi, selon la thèse qu'on voudra adopter, on déformera les propos de l'adversaire de manière subtile afin de pouvoir le contredire de manière évidente.
Sophia Aram (humoriste sur
France Inter) a utilisé le subterfuge de la caricature en présentant un membre du FN, caricatural dans ses propos, comme l'ensemble des électeurs du FN. Elle en a conclu que puisque celui-ci est manifestement xénophobe, tous les électeurs du FN sont donc bien des gros cons, en passant par une inversion de discours qui lui fait prétendre qu'elle ne peut pas le dire ainsi (alors que manifestement, elle le peut et le fait).
Guy Carlier (chroniqueur sur
Europe 1) a utilisé l'autre opposé du spectre en jouant les violons sur des braves types paumés dont il aurait reçu les lettres, et généralise donc le cas qu'il connaît pour contredire le discours de Aram, contre laquelle il peut faire sa petite prise de judo médiatique en retournant contre elle même sa propre formule.
Ce jeu d'inversions complètes des discours, niant les réalités les plus évidentes, font partie intégrante du spectacle médiatique. Et mis à part ces exemples de sophismes, ils ont assez peu d'intérêt.
En effet, les électeurs du FN ne sortent pas d'un moule unique. Interpréter le vote frontiste est un exercice complexe. Aram présente le vote frontiste comme un ralliement à la xénophobie décomplexée, Carlier comme à une errance de l'âme fragile.
Le votre frontiste : ignorance et opportunité
Si le but est de faire diminuer le vote frontiste, aucun de ces discours ne peut avoir la moindre efficacité. L'un est insultant, et provoque le sursaut de fierté gaulois qui fera justifier absolument n'importe quel comportement par un argument irrationnel de type victimaire-revanchard ("on s'en prend encore à moi, mais je vais pas me laisser faire, et je vais bien vous emmerder en votant Le Pen"). L'autre conforte et cajole le vote d'extrême droite en lui donnant des airs de bonhommie banale, et au final l'absout comme un péché véniel.
Le vote frontiste doit être condamné fermement sans jugement aucun de la personne qui porte ce vote (sans accablement ni sans cajolerie). Cette condamnation doit s'appuyer sur des arguments rationnels et sur des alternatives pratiques. Le vote frontiste est un vote massivement d'ignorance. Le va et vient de la droite populaire entre Sarkozy et Le Pen montre que le vote frontiste est un vote d'opportunité allant à celui qui hurle le plus fort. Lorsque Sarkozy était partout dans les médias, avec des phrases choc, les votes se sont portés vers lui. Désormais que Marine Le Pen occupe l'espace médiatique, et jouit d'une banalisation quasi-unanime, les électeurs de la droite populaire se portent vers elle pour montrer leur désarroi (aussi réel qu'ignorant).
On ne combat pas l'ignorance par des clichés ni des dorlotteries. On tape du poing sur la table et on repose les bases d'une démocratie saine, où la critique systématique des élites et des immigrés n'est pas le refuge de l'incompétence politique. On montre combien l'immigration est nécessaire, et bénéfique. On montre que le programme du FN, mis en pratique, nuirait aux conditions de vie de ceux-là même qui les auraient élus. On montre que le chacun chez soi n'a pas de sens, que la France a les moyens de vivre avec les immigrés, que le fric passé en reconduites à la frontière pourrait être utilisé à d'autres choses, que ce ne sont pas les misérables qui font la misère, et que ce n'est pas en perdant son énergie à taper sur son camarade de chantier qu'on va améliorer son propre sort. Mais il y a peu à attendre du système médiatique pour critiquer de manière efficace le FN.
Un vote de la crainte
Montesquieu découpait les modes de gouvernement en trois catégories : les républiques, les monarchies, les despotismes. Chacun de ces gouvernement a son principe : la vertu pour la république, l'honneur pour la monarchie, la crainte pour le despotisme. Selon Montesquieu, un gouvernement qui vit sans cultiver son principe est voué à la mort. Ainsi, une république où le peuple ne cultive pas la vertu républicaine (c'est à dire l'amour de l'égalité et de la frugalité) mais cultive la crainte, perd les avantages naturels d'une république et se voit tirer vers un mode de gouvernement despotique. C'est de cela que nous devons nous préoccuper : le glissement constant de la vertu vers la crainte. L'entreprise qui est la notre, républicains, est de promouvoir l'amour de l'égalité entre les individus, et l'amour de la frugalité.
Rien dans le contexte actuel ne nous y encourage. Entre les lois qui incitent à s'enrichir par le jeu en ligne (pour les entrepreneurs) et à s'appauvrir par le jeu en ligne (pour les clampins qui se rêvent à Las Vegas), qui promeuvent l'hypersécurité et la défiance à l'égard du voisin, voire du gosse turbulent, et la glorification médiatique de ceux qui font fortune en ne produisant rien d'utile à la société, nous voyons traîner notre république, pas à pas, vers un despotisme de facto, où la crainte enraye de plus en plus les rouages de la vertu que le CNR avait été capable de promouvoir à la sortie de la guerre.
Les électeurs du FN ne font donc qu'appliquer un principe bien connu depuis les Lumières : ils se regroupent autour du mode de gouvernement qui correspond à leur état de crainte.
A qui revient la responsabilité de leur crainte, et donc de leur vote ? A qui revient la faute de l'échec de l'élève ? A l'élève lui-même, ou à son professeur ? La société dans son ensemble, qui se laisse amollir et polluer par les principes d'un gouvernement autre que celui dont nous nous sommes constitués, n'a pas su se donner les conditions pour cultiver le principe de son gouvernement. Ceux à l'abri de la crainte, de par leur éducation ou leur classe sociale, mais qui la laissent s'installer en sont aussi coupables que ceux qui la subissent.
Cette crainte néanmoins, chacun est en mesure de la voir pour ce qu'elle est, et de la rejeter. Comme disait Epictète, il n'existe pas de voleur de libre-arbitre. Ainsi la responsabilité du vote, du bulletin physique mis dans l'urne physique, est bien la responsabilité du votant. Ce choix est un choix anti-républicain, et doit être combattu fermement comme tel. Il rapproche notre nation d'un état sauvage qui ne reconnaît pas l'égalité entre tous, qui promeut les rafles d'immigrés, la violence policière, le chacun pour soi.
Il est donc urgent de garder son sang froid, ne pas céder à la facilité de l'insulte, qui ne fait qu'entretenir le climat de crainte, et reconnaître que le mode d'organisation de notre société promeut le vote lepéniste ; mais il faut également rester ferme sur la question des principes et n'excuser en aucune manière l’"étourderie" extrémiste des gens qui souffrent de leur propre ignorance. Certes, ils souffrent, mais ils meurtrissent notre société, et ce comportement ne doit pas être conforté. L'extrême droite est un danger pour la république, de par les valeurs de crainte qu'il véhicule.
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