Les revendications salariales se multiplient
Depuis plusieurs mois, les conflits sociaux liés au pouvoir d'achat s'enchaînent à une cadence soutenue dans le secteur privé. Après les salariés d'un hypermarché Carrefour à Marseille, qui ont fait grève durant seize jours, les personnels de L'Oréal France ont pris le relais, lundi 18 février. Débrayages de quelques heures, rassemblement devant le siège à Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine)... La CFDT, la CGT, FO, la CGC et la CFTC avaient invité les collaborateurs du groupe de produits cosmétiques à cesser le travail pour réclamer un "rattrapage" de 9 % "dès cette année" et le rétablissement des augmentations générales de salaires - qui avaient été supprimées en 2004 au profit de hausses individuelles. Il faut remonter à la mise en place des 35 heures, au début des années 2000, pour constater une telle effervescence chez L'Oréal.
Les syndicats refusent les propositions de L'OréalLes représentants syndicaux de L'Oréal ont rejeté les offres salariales de la direction, mardi 19 février, qui a "proposé d'introduire une protection individuelle", qui "assurera à chaque collaborateur dont la rémunération annuelle brute est inférieure à 50 000 euros, une progression de sa rémunération globale en 2008 au moins égale à celle de l'inflation".
Aux yeux de la CGT, "rien ne change dans la politique du groupe, donc nous allons remobiliser", après une journée de grève lundi. Pour la CFDT, "il y a eu un petit geste de la direction, avec une prime de 250 euros versée en mars 2008, mais ça n'est pas assez par rapport à l'évolution du coût de la vie". Les syndicats, qui dénoncent ces augmentations uniquement individuelles, ont prévu de se revoir mardi prochain pour envisager la suite à donner aux mesures de la direction. – (Avec AFP.)
[-] fermerDes mouvements similaires se sont produits fin 2007, par exemple à Air France ou chez Conforama - pour ne citer que les plus médiatisés. Mais la contestation semble s'amplifier et affecter des entreprises où la grève était une pratique quasi inconnue. Ainsi, les salariés des groupes de presse Moniteur puis Prisma viennent d'obtenir une augmentation après des arrêts de travail. Autre fait remarquable : la forte mobilisation des personnels de la grande distribution, le 1er février, lors d'une journée nationale d'action organisée par trois syndicats - initiative sans précédent.
Les revendications salariales sont-elles devenues plus pressantes ? Difficile de l'affirmer avec certitude. Les statistiques les plus récentes, compilées par la direction des relations du travail (DRT), portent sur les journées de grève en 2005 : elles s'élevaient, cette année-là, à environ 224 000 dans le secteur privé (abstraction faite du monde agricole et des transports), soit une hausse de 16 % par rapport à 2004. "Parmi l'ensemble des revendications recensées, 41 % ont porté sur les salaires", précise l'étude de la DRT, contre 37 % en 2003.
Si le climat se tend davantage à propos de la fiche de paye, il faut d'abord rappeler que la période actuelle s'y prête. Depuis quelques jours, les entreprises publient leurs résultats pour l'année 2007. Celles qui affichent des bénéfices confortables sont susceptibles d'être interpellées par des salariés désireux d'obtenir "une part de gâteau" plus grande.
"FAIRE PLUS AVEC MOINS"
Mais le calendrier n'explique pas tout. Certains groupes en bonne santé financière ont été confrontés à des conflits très durs, alors même que leur politique sociale paraissait correcte. Ainsi, en octobre 2007, les stewards et les hôtesses d'Air France ont fait grève pendant cinq jours bien que 80 % d'entre eux aient vu leur salaire augmenter de 16,6 % en moyenne entre 2003 et 2006, d'après la direction. Leur mécontentement se nourrissait d'une lassitude consécutive aux efforts qu'ils estimaient avoir consentis depuis une décennie pour contribuer au redressement de l'entreprise.
"De nombreux salariés ont le sentiment de s'investir plus fortement qu'avant dans leur travail, de faire plus ou mieux avec moins", observe Jean-Marc Le Gall, directeur d'étude à Entreprise & Personnel, une association qui regroupe des directeurs des ressources humaines des grands groupes. Si la rémunération ne récompense pas ces sacrifices, l'"idée d'un déséquilibre" peut très vite émerger.
Lorsque des grèves sont lancées au nom du pouvoir d'achat, "d'autres motifs, tels que la pénibilité, les conditions de travail, se cachent souvent derrière, complète Jean-Michel Denis, chercheur au Centre d'études de l'emploi. Cela ne veut pas dire que l'on n'assiste pas à une montée des revendications salariales". Pour lui, la floraison des conflits liés aux rémunérations a pu être "facilitée" par la rhétorique de Nicolas Sarkozy sur le thème du "gagner plus".
Enfin, les ménages situés en bas de l'échelle des revenus sont particulièrement sensibles à leur fiche de paye, car une part substantielle de leurs ressources est consacrée à des "dépenses contraintes" (logement, etc.) dont le prix a explosé ces dernières années. En 2006, elles représentaient 75 % du budget des plus modestes, selon l'Insee, contre un peu plus de la moitié en 2001.
Dans ce contexte, des salariés n'hésitent plus à déclencher spontanément des arrêts de travail, quitte à court-circuiter les syndicats, comme cela s'est produit, en décembre 2007, dans un site de Darty à Mitry-Mory (Seine-et-Marne). Délégué syndical central CFDT chez L'Oréal, Jean-François d'André raconte que les organisations syndicales ont été "débordées par la base" sur certains sites, tant "le mécontentement et le sentiment d'injustice" étaient forts.